Le Mémorial interallié

Le Mémorial interallié

Depuis plus de quatre-vingts ans, la silhouette élancée de la tour et le contour trapu de l’église, duo Art-déco du Mémorial interallié, sont indissociables du panorama liégeois. Au lendemain des commémorations du centenaire de l’Armistice de la Première Guerre mondiale, retour sur ces deux édifices qui rendent hommage aux soldats alliés. Ainsi qu’à la Bataille de Liège.

Mémorial interallié à Cointe (Liège)
Le Mémorial interallié. Photo © Quanah Zimmerman

La Bataille de Liège en août 1914

Le lundi 4 août 1914, le lancier Antoine Fonck (1893-1914) tombe sous les balles de soldats du 5e régiment de Uhlans, au lieu-dit La Croix Polinard à Thimister. Le jeune Verviétois est la première victime du Xe corps d’armée, commandé par le Général Otto von Emmich (1848-1915), qui avait franchi la frontière quelques heures plus tôt, violant la neutralité belge.

Le mardi 5 août, les troupes allemandes traversent la Meuse au nord de Visé.

Bien que les journaux allemands annoncent la prise de Liège dès le 7 août, les forts, sous le commandement du lieutenant-général Gérard Leman (1851-1920), résistent avec une incroyable opiniâtreté pendant plus de dix jours. Le 16 août 1914, après un bombardement incessant, le fort de Hollogne, dernière des douze garnisons de la position fortifiée de Liège, dépose les armes, marquant ainsi la fin de la Bataille de Liège.

En reconnaissance de la résistance face à l’invasion allemande et en hommage aux victimes civiles des représailles allemandes, le Président Poincaré, accompagné par le Conseil municipal de Paris, remet la Légion d’honneur à la ville le 24 juillet 1919. C’est à partir de cette date que les Liégeois célèbrent de plus en plus la fête du 14 juillet1.

Mais en 1918 déjà, la « francophilie est intense »2 à Liège. La place aux Chevaux est rebaptisée place de la République française et la Place Verte devient la place du Maréchal Foch.

En décembre 1918, la ville approuve le principe de la construction d’un monument « commémoratif de la Défense nationale3« . Dès le mois de janvier 1919, l’architecte Paul Jaspar dépose les esquisses d’un « Beffroi de la Victoire » de 90 mètres de haut qui s’érigerait à proximité du Perron, monument qui  représente les libertés liégeoises4. Le projet, jugé trop coûteux, est recalé. L’architecte propose, pour en diminuer le coût, de réduire la hauteur du beffroi à 70 mètre.

Le projet de Paul Jaspar, qui piétine depuis plusieurs années pour des raisons budgétaires et administratives, est définitivement abandonné lorsque la Fédération interalliée des anciens combattants (F.I.A.C.), inspirée par la résistance de la place-forte liégeoise, choisir d’y édifier un mémorial international à la gloire des soldats alliés. Nous sommes en 1923.

Pour mener à bien cette initiative, un comité international (une association sans but lucratif, baptisée Le Mémorial) se constitue, présidé par la comtesse de Mérode. Née princesse Marie-Louise de Bauffremont-Courtenay (1874-1955), elle était l’épouse de Jean de Mérode, Grand Maréchal de la Cour.

L’association se met alors activement à solliciter des souscriptions publiques et privées dans les pays alliés pour financer ce projet. En 1928, trois millions de francs ont été récoltés, la moitié du budget nécessaire.

Quant à Paul Jaspar, de nombreux courriers l’invitant à s’associer au projet seraient restés sans réponse.

Le bourgmestre de Liège, Émile Digneffe, voit dans ce Mémorial une opération de prestige. Il faut donc trouver un lieu suffisamment vaste pour accueillir ce monument. On évoque le quartier Vennes-Fétinne. De nombreuses zones marécageuses avaient été assainies afin d’y installer le Vieux-Liège lors de l’Exposition Universelle de 1905. Mais la ville est décidément déjà trop encombrée pour valoriser un monument de cette envergure.

Eglise Saint Vincent Liège
Le quartier Vennes-Fétinne et l’église Saint-Vincent (1930). Photo © Quanah Zimmerman

En 1930, ce quartier Vennes-Fétinne accueillera l’église Saint-Vincent, édifice moderniste teinté d’Art déco en béton armé, dessinée par l’architecte liégeois Robert Toussaint (1900-1975), à laquelle l’église du Sacré-Coeur du Mémorial fera écho six ans plus tard.

Deux projets concurrents

Le comité Le Mémorial se tourne alors vers Cointe. Le plateau qui surplombe la ville offrirait une magnifique visibilité au Mémorial interallié. Mais il y a un problème : Monseigneur Martin-Hubert Rutten (1841-1927), évêque de Liège, ambitionne d’y construire une église « en souvenir de la gloire acquise par Liège en 1914-1918. »

Une association Monument régional du Sacré-Coeur avait été constituée en 1923 pour concrétiser cette initiative.

Les deux comités décident de fusionner les projets, chaque association restant néanmoins en charge de sa partie : Le Mémorial pour le monument civil et Le Monument régional du Sacré-Coeur pour l’église.

L’ensemble du mémorial sera édifié sur une propriété de la famille Tart-Beaujean, à proximité du Château Tart, surnom d’une maison néo-classique datant de 1883.

Un langage Art déco géométrique

La réalisation des deux monuments du mémorial est confiée à l’architecte moderniste et Art déco Jos Smolderen (1889-1973). L’anversois avait, en 1930, signé les plans de l’Église du Christ-Roi d’Anvers dans un style mélangeant déjà Art déco et influences néo-byzantines.

La tour du mémorial, d’une hauteur de 75 mètres, est construite selon un plan octogonal inscrit dans un carré. Son ossature en béton armé, technique novatrice pour l’époque, est recouverte d’un parement de pierres de France issues de la carrière Mésangère à Commercy.

Quant à l’édifice religieux, il « n’est pas sans rappeler, par son langage art déco géométrique, l’église Saint-Vincent de Robert Toussaint et la basilique de Koekelberg d’Albert Van huffel. »5 Sa coupole est composée de 13 tonnes de feuilles de cuivre provenant du Katanga et laminé dans les usines de « Cuivre et Zinc » de Chênée.

D’anciennes galeries de mines artisanales

La première pierre de l’église est posée le 21 juin 1925. Le premier coup de pelle symbolique de la construction du monument civil est donné le 4 septembre 1928.

Mais rapidement, les ouvriers découvrent d’anciennes galeries de mines artisanales qui ne figurent sur aucun plan. Plus de 500 tonnes de béton doivent être injectées afin de consolider l’ensemble du site. Le budget explose. Et le projet prend du retard. Jusqu’à l’arrêt complet en 1935, faute de moyens financiers supplémentaires, laissant l’édifice religieux inachevé.

Néanmoins, l’église, erronément considérée comme une Basilique, est consacrée au Sacré-Cœur le 19 juin 1936 par l’évêque de Liège, Monseigneur Kerkhofs.

La tour est inaugurée l’année suivante, le 20 juillet 1937, en présence du roi Léopold III.

Durant la Seconde Guerre mondiale, le mémorial est fortement touché par les bombardements aériens. La tour, propriété de l’État belge à partir de 1949, est restaurée en 1962, sous la responsabilité de Georges Dedoyard (1897-1988). L’architecte moderniste liégeois, élève de Joseph Moutschen, a notamment signé les plans du Mémorial du Mardasson à Bastogne en 1950. Le roi Baudouin Ier inaugure le site restauré le 20 novembre 1968.

Un phare pour le centenaire de la Première Guerre mondiale

En 2007, le mémorial est à nouveau restauré. En 2014, pour la commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale, un phare est installé au sommet de la tour. Sa réalisation technique a été confiée à une société française responsable, entre autres, du phare de la Tour Eiffel. La tour était à l’origine dotée d’un phare, mis hors service en 1940 au début de la Seconde Guerre mondiale.

Le mémorial civil accueille, sur l’esplanade et à l’intérieur de la tour, un ensemble de monuments offerts à Liège par sept des nations alliées : l’Italie, la France, la Roumanie, l’Espagne, la Grèce, la Grande-Bretagne, la Pologne et la Russie.

Rue Saint Maur, 93.

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