La Tour cybernétique de Liège

La Tour cybernétique de Liège

« À une époque où Liège était artistiquement active et se montrait attentive aux créations modernes dans le domaine des arts, elle osa poser un geste qui sortait de l’espace convenu de l’exposition des oeuvres : elle intégra à son décor urbain un monument hors mesure, d’allure futuriste et d’inspiration utopique. » — Jacques Dubois1

Installée en 1961 dans le Parc de la Boverie, la Tour cybernétique de Liège est une œuvre monumentale de l’artiste franco-hongrois Nicolas Schöffer.

La Tour cybernétique de Liège (1961)

Cette structure tubulaire de 52 mètres de haut est commandée par un « cerveau » électronique qui réagit à l’environnement, produisant, de façon aléatoire, des mouvements grâce à des pales motorisées en aluminium anodisé, des lumières ainsi que des sons. Certaines séquences musicales ont d’ailleurs été composées par Henri Pousseur. Un « moteur d’indifférence » intervient pour briser une éventuelle monotonie dans les réactions de la Tour. 

Nicolas Schöffer, le père de l’art cybernétique 

Nicolas Schöffer (1912 – 1992) est né à Kalocsa en Hongrie. Dans les années 1930, il rejoint Paris. La guerre le rattrape et il se réfugie en Auvergne où il peint de scènes christiques, étonnement très éloignées des sculptures qu’il créera quelques années seulement après la guerre.

Schöffer est non seulement un artiste mais également un ingénieur passionné des nouvelles technologies. À la fin des années 1940, « il s’inspire de l’architecture industrielle, en forme de tours de communication, d’antennes, etc.2 »

Nicolas Schöffer invente le spatiodynamisme qu’il définit comme « l’intégration constructive et dynamique de l’espace dans l’œuvre plastique3. » Puis ensuite, il décline le concept avec le luminodynamisme et le chronodynamsime.

Dès le début des années 1950, il introduit la théorie cybernétique dans l’art en utilisant les notions d’espace, de temps et de lumière dans ses sculptures4. L’électronique lui permet alors de concevoir des sculptures autonomes dont la première est installée à Paris en 1955 et qui fonctionne tout l’été.

Schöffer poursuit en réalisant des sculptures « programmées, ouvertes sur leur environnement, qui mobilisent des boucles de rétroaction et requièrent pour être produites la collaboration avec des équipes d’ingénieurs5. »

La Tour cybernétique de Liège (1961). Photo : Quanah Zimmerman
« Un monument hors mesure, d’allure futuriste et d’inspiration utopique. »

La Tour cybernétique de Liège, « fière affirmation d’une modernité inédite6 », est l’œuvre la plus monumentale, sophistiquée et emblématique de Nicolas Schöffer. C’est aussi la première œuvre d’art cybernétique permanente, « intégrée dans le paysage urbain et interagissant avec les stimuli environnementaux pour produire des réactions esthétiques7. »

Mais la Tour, inaugurée dans la foulée de la grève générale de l’hiver 1960-1961, ne compte pas que des partisans à sa création, « éveillant, comme il se doit, des réticences en raison de sa trop grande audace. Par sa nouveauté technologique, architecturale, musicale et lumineuse, elle désarçonna de fait le plus grand nombre. »8

Par ailleurs, l’oeuvre semble avoir été pensée comme une expérience, sans grande considération pour la durabilité de l’installation. D’un maniement et d’un entretient complexe, la Tour est victime d’une série de pannes. 

C’est le Spectacle Audiovisuel Luminodynamique, très rapidement séparé de l’oeuvre pour devenir l’éclairage d’apparat de la façade du Palais des Congrès, qui s’éteint en premier, avant même la fin des années 1960. Suivent ensuite les magnétophones, installés dans la petite vitrine au pied de la tour, qui ne résistent ni à l’humidité, ni au vandalisme. 

Et puis, le système n’était pas réellement autonome. Le spectacle complet était piloté par les techniciens qui l’avaient conçu. Une fois que l’artiste et les spécialistes eurent quitté Liège, personne ne pouvait piloter l’ensemble9.

À l’aube des années 1970, la Tour devient complètement inerte dans l’indifférence presque totale. « Même la génération des années 1970, ouverte en principe à l’expérimentation, ne lui manifesta guère d’intérêt. »10

Il faut attendre les années 1990 pour que s’amorce un long travail de restauration, notamment grâce à l’impulsion de l’asbl « Les Amis de la Tour cybernétique ». La Tour est classée sur la liste du Patrimoine exceptionnel de Wallonie en 2009 et la restauration peut commencer. Mais l’absence de documentation complique terriblement le travail. 

La Tour cybernétique restaurée

Malgré la complexité de la restauration, la Tour cybernétique reprend vie en 2016.

La Tour cybernétique de Liège (1961). Photo : Quanah Zimmerman
La Tour cybernétique de Liège, au pied de la passerelle La Belle Liégeoise.

Ses effets d’origines sont reproduits grâces à des technologies contemporaines qui respectent l’intégrité esthétique de l’œuvre. Le programme de gestion sonore, dynamique et lumineuse est reconstitué à l’identique et les bandes sonores originales, qui ont livré un contenu fragmentaire et de mauvaise qualité, sont numérisées et restaurées. Ce travail de restauration représente un budget de 3,3 millions d’euros.

La Tour aurait donc retrouvé son esprit d’origine avec une attention à la durabilité ainsi qu’à une consommation énergétique maîtrisée. Et cette fois, l’ensemble des systèmes est entièrement documenté. 


Pour en savoir plus 

Dubois Jacques, « Un hapax : la Tour cybernétique », in Le Tournant des années 1970. Liège en effervescence, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2010, p. 195.

Ligier Maude, Triclot Mathieu, L’art cybernétique de Nicolas Schöffer, 3e Congrès de la Société Française d’Histoire des Sciences et des Techniques (SFHST), Sep 2008, Paris, France. 2008. 

D’haenens Manon, « The Cybernetic Tower by Nicolas Schöffer: the conservator’s role between continuity and historicity of the production. » Authenticity in Transition, Changing practices in art making and conservation, Proceedings of the NeCCAR Conference, Glasgow december 2014, Archetype, 2016.

Verbeeck Muriel, Study day: The Conservation of Nicolas Schöffer’s Cybernetic Tower, 2014.

La Tour cybernétique de Liège. En ligne www.tourcybernetiquedeliege.be, consulté le 4 février 2019.

Wikipédia. La Tour cybernétique. En ligne https://fr.wikipedia.org/wiki/Tour_cybernetique_de_Liege, consulté le 4 février 2019.

Le Spatiodynamisme. Texte de la conférence de Nicolas Schöffer le 19 juin 1954 à à la Sorbonne. En ligne https://www.olats.org/schoffer/archives/spatiody.htm, consulté le 4 février 2019.